Le business plan : Graal ou gadget ?
Le business plan. Rien que l’expression peut évoquer des images contrastées : pour certains, c’est un passage obligé et structurant ; pour d’autres, une perte de temps théorique dans un monde où tout change trop vite. Alors, faire un business plan est-il encore nécessaire en 2024 ? Spoiler : tout dépend. Et c’est justement ce « tout dépend » que nous allons décortiquer ensemble.
Durant mes années d’accompagnement auprès de startups et PME, j’ai vu passer des business plans dignes de cabinets d’investissement new-yorkais… et d’autres griffonnés sur un coin de nappe. Et parfois, ce sont ces derniers qui ont accouché des plus beaux succès. Alors comment trancher ?
Business plan : pourquoi on en parle encore
À l’origine, le business plan a été conçu pour formaliser une vision stratégique, aligner les parties prenantes et surtout rassurer les investisseurs. En clair : c’est l’outil parfait… pour lever des fonds ou convaincre une banque.
Mais dans la réalité terrain – celle des jeunes entrepreneurs, des freelances ambitieux ou des dirigeants de PME, les choses sont souvent plus chaotiques. Pivot stratégique en cours de route, évolution technologique imprévue, feedback client qui rebats les cartes. Le plan initial ne résiste pas toujours à la réalité. Alors, doit-on s’en passer ? Pas si vite.
Business plan vs business model : ne pas confondre
Avant d’aller plus loin, posons une base claire : le business plan n’est pas le business model.
- Le business model, c’est la mécanique de création et de captation de valeur. Il répond à la question : comment gagnez-vous votre vie ?
- Le business plan, lui, est une projection stratégique et financière qui illustre comment ce modèle va fonctionner demain, dans 6 mois, dans 3 ans.
On peut très bien avoir un business model solide sans business plan formalisé… à condition de savoir exactement où on va. Et c’est là que ça se corse.
Un monde agile : le plan figé a-t-il encore sa place ?
Dans l’univers des entreprises digitales, tout évolue à un rythme effréné. Les itérations rapides, les tests utilisateurs, le feedback en continu : tout pousse à être en mouvement plutôt qu’à suivre un plan rigide.
Mais attention : l’absence de plan n’est pas synonyme de liberté. Elle peut vite mener à la désorganisation, à la perte de vision, ou pire : à l’essoufflement.
Ce que je recommande souvent, c’est une version plus agile du business plan. Un outil vivant, évolutif, utilisé comme boussole – pas comme règle gravée dans le marbre.
Quand un business plan est VRAIMENT utile
On peut lister plusieurs cas où il serait franchement périlleux de faire l’impasse sur un business plan :
- Pour lever des fonds : investisseurs et banques exigent une vision claire et chiffrée.
- Pour structurer une équipe : un plan, même allégé, permet de donner une direction commune.
- Pour valider la viabilité économique : certaines idées brillantes s’écroulent face aux projections de trésorerie.
- Pour assurer une crédibilité : dans certains secteurs (B2B, industrie, franchises…), ça fait partie des attentes professionnelles.
Dans ces cas-là, mieux vaut sortir son plus beau tableur Excel et dessiner des hypothèses fondées, argumentées, modélisées.
Quand peut-on s’en passer ?
Mais à l’inverse, il y a des situations où un business plan formel peut être superflu, surtout au démarrage :
- Lancement d’une activité freelance : votre activité est basée sur votre savoir-faire immédiat, vos ambitions sont modulables, et vous n’avez pas besoin de financement externe.
- Tests de MVP (Produit Minimum Viable) : dans les toutes premières phases d’un produit digital, on a souvent besoin d’apprendre plus que de projeter.
- Projets side-business : si vous expérimentez un concept à côté de votre activité principale, inutile de passer 40 heures sur un BP avant même d’avoir un client.
Dans ces cas-là, mieux vaut concentrer son énergie sur des actions concrètes : identifier son audience, tester des canaux d’acquisition, écouter – vraiment – ses utilisateurs.
La méthode lean planning : une alternative efficace
Pas envie de faire une centaine de slides ? Bonne nouvelle : il existe des méthodes plus légères. Le lean canvas, par exemple, est une version condensée et visuelle du business plan. En une page, il permet de :
- Définir votre proposition de valeur
- Identifier vos segments clients
- Visualiser vos canaux de distribution
- Comprendre vos coûts et revenus
Utilisé dans nombre de startups, il permet de démarrer, de s’aligner avec ses associés, voire de convaincre les premiers partenaires. Moins trop, plus mieux ?
Anecdote de terrain : le faux « no-plan »
Il y a quelques années, j’ai rencontré une entrepreneure qui clamait haut et fort avoir lancé sa boîte « sans business plan, sans vision, sans préjugés ». Le genre de discours qui fait frémir l’experte en stratégie de croissance que je suis.
On a échangé. En une heure, elle m’a parlé de son marché, de ses marges, de son cycle de vente, de son positionnement marketing, de ses projections. En résumé ? Elle avait tout d’un business plan… sauf le document PDF. Moralité : ne pas faire un business plan <> ne pas faire le travail de réflexion stratégique.
Et dans une agence marketing digitale ?
Si vous pilotez une agence – SEO, SEA, Social Ads –, vous êtes sans doute tenté d’adapter votre modèle au fil des opportunités. Mais attention au syndrome du « trop de tout » : sans vision, vous risquez de diluer votre positionnement et de complexifier vos opérations.
Un business plan bien ficelé peut alors servir à :
- Choisir vos verticales de spécialisation
- Anticiper votre besoin en RH et outils
- Structurer vos offres packagées
- Savoir si vous pouvez « rentrer » tel client sans vous cramer
C’est aussi un excellent outil pour valoriser l’agence, en vue d’une levée, d’un rachat ou simplement pour gagner en crédibilité lors d’appels d’offres.
Quelques principes clés si vous vous lancez
Si l’idée de formaliser votre business vous tente, mais que vous ne savez pas par où commencer :
- 80/20 : focalisez-vous sur les 20% d’éléments qui vous donneront 80% de clarté.
- Faites simple : évitez les jargon inutiles ou les effets de style financiers. Soyez clair.
- Basez-vous sur du réel : pas besoin d’être Madame Soleil, mais appuyez vos hypothèses sur des données tangibles (études, retours utilisateurs, benchmarks).
- Révisez-le : au moins une fois par trimestre. Un business plan figé est un outil mort.
Finalement, un business plan pour soi
Le plus grand malentendu autour du business plan, c’est de croire qu’il est fait uniquement pour les autres. À mes yeux, le plus grand bénéfice est personnel. Écrire un business plan, c’est se forcer à répondre à des questions difficiles : Qui suis-je ? Quel problème je résous ? Pourquoi maintenant ? Qui va me payer ?
Pas besoin que ce soit parfait. Ni même complet dès le départ. Mais une vision claire, alignée et ambitieuse est souvent ce qui distingue ceux qui avancent de ceux qui tournent en rond.
Alors, le « no plan business plan », mythe ou méthode valable ? À mon sens, tout entrepreneur gagne à faire ce travail de projection, au moins une fois. Même si ce n’est pas pour lever 1 million d’euros. Même si personne ne le lit à part vous. Parce que dans cet exercice, vous découvrez bien plus que des chiffres : vous vous découvrez vous-même en tant qu’entrepreneur.